Congo, le sang dans la terre : Quand le progrès mondial enterre ses enfants

La République démocratique du Congo traverse cette semaine une scène presque apocalyptique. Alors que l’on compte encore les morts du 15 novembre 2025, ensevelis dans la mine à ciel ouvert de Kalando, une autre nouvelle est venue frapper la nation : l’avion transportant une délégation du ministère des Mines s’est écrasé.

À ce niveau, l’on se demande ce que le Congo, l’Afrique entière, aurait fait à Dieu, aux ancêtres, ou même à la terre elle-même.

Jusqu’à quand les jeunes Africains seront-ils sacrifiés sur l’autel des technologies du monde ? Jusqu’à quand l’Afrique paiera-t-elle le prix du progrès mondial que d’autres célèbrent comme une victoire écologique ?

On dirait un film d’horreur.

Une scène qui rappelle The 33, un film retraçant la catastrophe minière de Copiapó en 2010 où 33 mineurs chiliens furent coincés sous terre pendant 69 jours. Sauf qu’au Congo, plus de 40 personnes sont déjà confirmées mortes pendant que nous redigions ce texte.

Le Congo est le plus grand producteur mondial de cobalt — ce minéral rare, indispensable aux batteries des téléphones et des voitures électriques. Pourtant, au lieu de devenir une bénédiction, son sous-sol est aujourd’hui un terrain de jeu pour des puissances étrangères et des multinationales. On estime que 80 % de l’exploitation du cobalt échappe aux Congolais.

Mais cela n’a rien d’une nouveauté : la RDC est devenue, depuis longtemps, un théâtre d’injustice socio-économique.

L’Ombre de Léopold II: Le retour du même fantôme

À la fin du XIXe siècle, Léopold II transforma le Congo en un domaine privé, d’abord pour l’ivoire, puis pour le caoutchouc — l’or blanc dont dépendait l’industrie automobile naissante. Sous couvert d’une « mission humanitaire », il imposa aux populations congolaises un système d’une brutalité inouïe : mutilations, prises d’otages, quotas impossibles, exécutions. Des millions de morts.

Un traumatisme encore inscrit dans les arbres, les rivières et les chants. L’indépendance de 1960 n’a pas brisé cette logique. L’économie du pays, entièrement façonnée par l’extraction minière, resta dominée par l’extérieur — et la zaïrianisation de Mobutu ne fit que réécrire, sous un autre nom, le même mécanisme d’accaparement et de prédation.

La transition écologique mondiale : verte pour quelques-uns, rouge pour le Congo

Aujourd’hui, avec près de 3,5 millions de tonnes de réserves de cobalt, le Congo se trouve au cœur de la transition écologique mondiale. Téléphones, voitures électriques, éoliennes, panneaux solaires : tout ce qui promet un futur « propre » dépend du sang des mines congolaises. Donc, alors que le monde parle d’énergie verte, le Congo pleure la terre rougie par le sang de sa population et menacée par la destruction des écosystèmes, la pollution, l’explosion des inégalités et la fragilisation de la gouvernance. Le conflit au Nord-Kivu, tout comme la catastrophe de Kalando, révèle une société où le sol semble avoir plus de valeur que la vie humaine.

Jeanne-Marie Abanda, secrétaire exécutive de la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (CENCO), et membre de la délégation congolaise à la COP30, l’a exprimé sans détour :

Aujourd’hui, la RDC est victime de ses richesses. Le monde entier veut les exploiter au détriment du peuple congolais. Arrêtez de piller nos ressources sans tenir compte des habitants de ce pays.

Puis, d’une voix où vibrent l’histoire et la douleur :

Ce sont devenus des minerais de sang. On arme nos voisins pour nous attaquer, et ensuite on prend nos minerais.

Pendant que le monde fête l’énergie verte, le Congo devient un cimetière

Pendant que les capitales du monde vantent la beauté de leur transition énergétique, le Congo s’enfonce dans une spirale d’effondrement. Les affrontements se succèdent à Goma, Bukavu, Masisi, Rutshuru, Kanyabayonga, jusqu’à Lubero, Kalehe et Walungu, arrachant des familles et des villages entiers. Dans les zones minières, la violence suit le filon des richesses : Rubaya, Numbi, Lumbishi, Shanje, Minova, Mongbwalu, Durba, Luhihi, Shabara, Kafwaya, Kami Taiga…

Autant de noms qui résonnent comme des stations d’un chemin de croix moderne, où l’exploitation — souvent illégale — du coltan, de l’or, du cobalt et du cuivre alimente la contrebande, les conflits, les déplacements et les violations des droits humains. Et malgré cela, les discours sur les batteries “propres” et les gadgets “verts” continuent de défiler sans une pause pour écouter les morts.

Jeanne-Marie Abanda le répète avec une lucidité douloureuse :

La RDC a besoin de paix pour se reconstruire, pour protéger la planète, pour redonner espérance à son peuple. Nous sommes au cœur de l’Afrique, mais aussi au cœur du monde avec le bassin du Congo.”

Un cri qui monte de la terre

Ce qui se passe aujourd’hui au Congo dépasse la catastrophe, car il est désormais un message, un avertissement et un écho profond qui monte de la terre, des forêts, des rivières et des entrailles du pays.

Dans un monde qui parle d’écologie sans parler de justice, et qui célèbre l’énergie verte sans regarder la couleur du sang qui la porte, le Congo nous rappelle que la transition écologique, sans équité, est une forme moderne de colonialisme et d’injustice. Et tant que les morts du cobalt continueront de s’amonceler, tant que les fantômes de Kalando et du Nord-Kivu hanteront les promesses du progrès, la transition énergétique mondiale ne sera pas une victoire humaine, mais un monument bâti sur les ossements de ceux que la terre n’a pas pu sauver.

L’Église aurait-elle échoué dans son rôle prophétique ?

Les prières abondent pour le Congo. Chaque année, le drame de ses enfants émeut la planète entière, tandis que, sans y penser, nous achetons les mêmes produits qui ont causé leur mort. Alors, une question nous traverse : est-ce que Dieu aurait abandonné le Congo, ou avons-nous assisté à l’affaiblissement — ou au silence — des voix prophétiques censées éclairer son chemin ?

Pourtant, sans même compter la multitude de communautés pentecôtistes et d’Églises d’origine locale, la RDC demeure le pays comptant le plus grand nombre de catholiques du continent africain. Comment expliquer alors que leur poids moral semble si peu peser dans la balance nationale ? Est-ce que leurs voix ne sont plus écoutées ? Où sont-ils, malgré eux, devenus spectateurs d’une tragédie qui les dépasse ?

Dans une entrevue accordée à Radio Vatican, le journaliste et essayiste camerounais Charles Onana, à propos de son ouvrage L’Holocauste au Congo, a rappelé le courage solitaire de Mgr Christophe Munzihirwa. Dès 1994, cet évêque — lucide comme un prophète biblique — avertissait que l’arrivée massive et non contrôlée de réfugiés rwandais allait entraîner l’effondrement du Congo.

Il a écrit aux grandes puissances, aux institutions internationales, aux décideurs du monde. Personne n’a répondu. Il a persisté jusqu’au jour où il a été assassiné par ceux-là mêmes dont il dénonçait les agissements.

On ne peut donc pas dire que l’Église du Congo se soit tenue à l’écart de la souffrance de son peuple.

Dans ce même ouvrage, Onana insiste abondamment sur le rôle déterminant de figures ecclésiales et humanitaires congolaises — notamment le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix — dont le combat pour la dignité des femmes et des survivantes de la guerre demeure un phare dans la nuit africaine. Pendant que Kinshasa, Kigali, Paris, Washington, Bruxelles, Pékin et d’autres centres de décision jonglent avec les intérêts géopolitiques, des Congolais — prêtres, religieuses, médecins, laïcs — tiennent encore la ligne de front morale.

Comme l’a rappelé le cardinal Fridolin Ambongo, président de la Conférence épiscopale d’Afrique et du Madagascar, lors de la COP30 de Belém :

En Afrique, la recherche de lithium, de cobalt et de nickel détruit le bassin du Congo et alimente des conflits régionaux aux conséquences humanitaires dramatiques”
— Cardinal Fridolin Ambongo

Pour l’archevêque de Kinshasa, « tout est lié ».

Il est grand temps, dit-il, de sortir des discours qui ne changent rien, car la destruction du bassin du Congo est la destruction de notre humanité. L’échec du Congo est l’échec de notre société.

Et comme le souligne le pape François dans Laudato Si’, nous ne pourrons jamais reconstruire le Congo — ni le monde — sans une vraie transformation intérieure :

Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons et ses racines humaines nous concernent et nous touchent tous. » (LS 14)”
— Pape François

Author

  • Nigerian missionary oblate, doctoral student, theologian, research assistant, and part-time professor at Saint Paul University in Ottawa.

    With over eight years of missionary experience among the Innu First Nation in Quebec, he explores how Indigenous wisdom, postcolonial identity, and storytelling can renew theology and mission. His work seeks to listen deeply to the Echoes of the Spirit from the Forest and in “all our relations.”

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